Aussi surnommé « Hitmaker congolais », Fally Ipupa est à ce jour, l’un des plus gros livreurs des hits du paysage musical de la République Démocratique du Congo, si pas l’actuel « Number One » dans ce registre. En novembre 2018, le chanteur à la voix mélodieuse offrait son 4ème album-rumba intitulé « Control » aux mordus de la bonne musique. Un opus à 3 volets comportant 31 merveilleux tracks dont les titres « Sans pitié », « Sans Amour » et « Soucis ». Dans cet article, nous analysons ces 3 tubes afin d’établir un rapport entre leurs contenus. Un cadeau pour les mélomanes.
Et si dans cette œuvre-rumba, des pistes telles que Canne à sucre, A flyé, Maria PM, Aime-moi où encore Bafana, One Love et Roi Manitou, pour ne citer que celles-là, ont cartonné en faisant un boucan énorme, il y a cependant d’autres qui ont cogné fort en sourdine. C’est le cas des titres « Sans pitié« , « Sans Amour » et « Soucis« . Le genre de chansons que l’on découvre quelques temps plus tard alors qu’on croyait déjà avoir consommé un album de bout en bout. Ce récent post Facebook du journaliste congolais Tchèques Bukasa en témoigne.
Le débrief d’abord !
Sans Pitié, Sans Amour et Soucis, 3 morceaux aux thématiques qui se rencontrent au carrefour des relations amoureuses battant de l’aile. Tous imprégnés d’une mélancolie captative, qui submerge vos émotions dès la première note qui résonne, vous rend pensif, vous donne envie de vous sentir aimé même quand votre relation est un havre de paix. Oui, c’est la spéciale de l’interprète au centre de notre chronique. Celui-ci nous a toujours concocté des recettes musicales qui pincent la fibre émotionnelle des auditeurs et les immerger dans une “heure de saveur”. Nous les avons auditionné au sein de la rédaction et nous nous sommes dit que ça valait la peine d’en faire une chronique. C’est parti !
Entrons dans le vif avec Sans pitié. Une chanson de 5 minutes : 26′ dédiée à Edo Mopatas, un homme d’affaires congolais de la rive de Brazzaville, à qui DiCap la merveille a toujours consacré un morceau dans ses projets Rumba depuis son premier album solo Droit Chemin. Et à chaque fois, c’est un chef-d’œuvre qu’il nous lâche. Tenez, le mécéne a eu droit à des tubes comme Orgaxy (Droit Chemin), Nyokalessé (Arsenal de belles mélodies), Cri D’alarme (Power Kosa Leka Vol.1) et Sans Pitié (Control). Un détail anodin mais qui a tout de même éveillé notre curiosité et méritait une parenthèse.
Différemment de la plupart des chansons de Fallly, où c’est la guitare d’accompagnement qui donne l’humeur de la mélodie, ici, c’est plutôt la basse qui joue ce rôle, elle est beaucoup plus prononcée. Accompagnée par un triste son du clavier au départ, elle donne une atmosphère maussade rendant l’auditeur nostalgique.
Ensuite, dans la deuxième séquence de la chanson, vient la mélodie langoureuse de cette fameuse guitare d’accompagnement qui caractérise la rumba congolaise. Associée à la voix mélancolique, non cataloguée de Fally, même lorsque vous ne comprenez pas le Lingala (l’une des langues nationales dans les 2 Congo), les composants de cette chanson vous font ressentir le vide laissé par l’une des vos anciennes romances ou d’un manque créé par l’attitude de votre actuel amant(e). C’est magique !
Dans ce titre, les ailes de l’Aigle se sont déployées sur le thème majeur de la chanson congolaise, l’amour, souvent présenté sur un accent plaintif comme dans « Sans Pitié ». Il s’agit d’une femme qui tente de faire revenir son homme (Edo) qui vient de le plaquer. Elle lui rappelle tous les sacrifices consentis au début de leur relation, son investissement dans la vie d’Edo et tout…et le supplie de lui revenir en guise de récompense où salaire : « j’ai beaucoup souffert dans ton amour Edo mais où est ma récompense ? Chaque travail mérite un salaire mais pas le mien ? Même le péché a un salaire alors où est celui de l’amour, si ce n’est des pleurs, angoisse, insomnies et hallucinations », chante-il au début de la deuxième séquence de ce titre. On y entend aussi des paroles qui font allusion à l’indifférence. L’un des signaux indiquant que l’attention de son homme est déjà ailleurs : « tu as fait de ta présence devant mes yeux un interdit car même te voir est devenu un miracle » aussi de la déception « Tu as perturbé ma vie Edo, tout allait bien avant. Le souci se moque de moi au loin parce que j’avais juré de ne plus jamais laisser la déception entrer dans mon amour…». En tout les mots sont bien trouvés et rendent le lyrics poignant.
Soucis, une chanson de plus de 8 minutes dédiée à Philo Djimbé. Nous avons essayé de nous renseigner sur cette personne mais les recherches n’ont rien donné. Sur ce titre, c’est la douce mélodie de la guitare d’accompagnement qui mène la danse sur un tempo délicatement cadencé comme d’habitude. Fally Ipupa nous emmène dans son univers au langage imagé et exploite principalement une figure de style, la personnification, afin d’explorer cette thématique d’une manière particulière. Si vous écoutez méticuleusement les paroles de ce morceau, vous comprendrez que l’interprète personnifie le « Souci » : cet état d’esprit plus ou moins douloureux, permanent ou répété, de quelqu’un qui s’inquiète à propos d’une personne ou d’une chose à laquelle il accorde de l’importance, présenté comme un tyran, un être puissant et inéluctable.
En écoutant ce titre, l’on a l’impression comme s’il s’agit vraiment d’une personne physique, une vraie plainte contre les soucis dûs aux problèmes d’amour
qui rongent nos cœurs. C’est ce qui est extraordinaire chez Fally et lui confère une singularité artistique. Ceux qui le connaissent depuis le Quartier Latin International de Koffi Olomide savent que c’est vraiment son délire. Il a une manière d’exprimer les choses propres à lui. DiCap a toujours utilisé un langage plein d’images (des métaphores et personnifications) pour créer des films dans le cerveau de l’auditeur et l’emballer. Par exemple son vocal sur le morceau « Babu » extrait de l’album « Efrakata » où il dit : « ouvre le tirette de mon cœur pour voir l’endroit où je t’y est placé…». En vrai, un coeur n’a pas de tirette, mais il le dit ainsi pour ajouter une couche poétique à son vocal. Un artiste ne présente pas une réalité comme elle est mais plutôt comme il est, dit-on.
Revenons à la chanson « Soucis ». Et donc l’interprète parle de Souci tel un être despote armé d’une cruauté implacable : « engage Goldberg et Batista comme tes gardes rapprochés, à eux, joins les casques bleus et les marines avec un cortège sécurisé par les chars de l’ONU. Mais sache que ton cœur ne résistera pas aux soucis quand ils arriveront, tu n’en seras pas épargné…».
Alors une précision, dans l’esprit de ce morceau, les soucis dont évoque le chanteur congolais ne viennent pas de tous les compartiments de la vie. Mais plutôt de ceux causés par l’indifférence, le rejet, l’absence de la personne pour qui notre cœur bat, le manque où une quelconque insatisfaction en amour. C’est réellement un ovni étant donné que c’est l’un des rares tubes d’un chanteur-rumba congolais sur lesquels l’on sent que l’artiste a essayé de creuser dans l’écriture afin de sortir quelque chose de profond. Il y a même des parties où l’interprète interroge le souci : « souci, y-a-t-il quelqu’un que tu épargne, tu épargne qui ? Dis-nous car tu mets tout le monde à genoux quel que soit notre rang social… », pour ce dernier, il n’y a pas un moyen, une astuce pour échapper à la cruauté des soucis en amour : « en hiver, pour lutter contre le froid, on allume le chauffage. En été, pour lutter contre la chaleur on allume la clim. Mais contre les soucis, que peut-on espérer comme solution ? Places une somme d’argent dans un coffre-fort, un voleur ne pourra pas la dérober tant il n’a pas le code d’accès. Mais essaies d’y mettre l’amour, Souci en rigolera parce qu’il va y accéder. Et même si tu cries au secours, le policier ne viendra pas, il en est victime lui-même. Que t’avons-nous fait pour que tu (souci) nous fasses pleurer tout le temps ? ». Si vous ne l’avez jamais écouté vous avez l’occasion de le découvrir ci-dessous :
Sans Amour, une longue rumba Ipupanesque qui tourne pendant 8 minutes : 13′ dédiée à un sujet congolais de kinshasa nommé Théophile Mulumba. Sur ce titre, c’est le clavier qui joue un grand rôle car l’instrumental semble être une programmation. Le bal s’ouvre avec le son d’un saxophone et comme dans les précédents morceaux, l’artiste nous douche d’une mélodie qui installe une tristesse vague.
Une atmosphère mélodique qui vous donne l’impression d’avoir déjà vécu cette journée. Non, ce n’est pas vous mais la chanson. C’est ça la magie de Fally Ipupa. Il a cette faculté de sortir de son corps, quand il écrit, et se mettre dans la peau du public afin de retranscrire leur vécu. C’est ce détail qui donne un côté nostalgique à ses chansons. D’ailleurs, la première phrase de cette chanson rime un peu avec ce que l’on dit : « une journée de ce genre, c’est comme si je l’ai déjà vécue. Ça commence toujours comme ça, comme une blague, puis ça devient sérieux ».
Cela s’appelle un flashback. Il arrive souvent lorsqu’une scène déjà vécue est sur le point de se reproduire dans votre vie. Et donc, dans le contexte dans ce tube, le comportement d’un amant rappelle à son amoureuse le scénario dans lequel elle a été quittée par un ex. Une fois de plus, on retrouve un personnage plaintif et paranoïaque évoquant de indifférence, humiliations, soucis, insomnies, perte de poids, manque d’affection et déception. Visiblement, l’interprète affectionne beaucoup cette thématique.
Le rapport entre ces 3 chansons de Fally
Après une audition minutieuse de ces 3 chefs-d’œuvre de Fally Ipupa, nous avons le sentiment qu’il y a une similitude entre eux. Chacun de ces morceaux a un rapport avec les 2 autres par son contenu. Car quand bien même sur Soucis le chanteur est focus sur les tourments auxquels l’on fait face en amour, l’auteur n’a cependant pas pu s’échapper du personnage (fou amoureux et plaintif) que nous retrouvons fréquemment dans la chanson rumba congolaise. Les mots : le manque, l’indifférence, l’attente, l’absence, la solitude, l’inquiétude, la dépression, que le titre Soucis laisse sous-entendre nous renvoient directement vers Sans Amour et Sans Pitié. Car dans ce contexte, ils expriment tous, en quelques sortes, un manque d’amour où de pitié.
Le rapport entre Sans Amour, Sans Pitié et Soucis c’est aussi que quand’on tombe amoureux d’une personne qui n’éprouve aucun sentiment d’amour pour nous (Sans Amour), celle-ci sera toujours indifférente à notre égard. Insensible à nos plaintes et toujours indisponible pour répondre à nos appels téléphoniques, messages et rendez-vous. Dans ce genre de situations, à défaut d’amour, l’on cherche souvent naïvement a obtenir même de la pitié.
Malheureusement, la personne réclamée n’en a pa (elle est Sans Pitié). Ainsi, on devient vite la proie des soucis qui dévaste le cœur et le laisse déchiqueté (Soucis). Et donc, c’est autour de cet univers que tournent ces 3 chansons. Des saveurs que ne pourrions très prochainement retrouver dans le nouveau projet rumba « Ouverture Des Jeux » de Fally Ipupa qui sera dans les bacs sous peu.
RM La Fleur Du-béton